Du stockage des déchets toxiques dans des dépôts géologiques profonds
Cet article est également publié dans la revue « Science et pseudo-sciences » n°324 – avril / juin 2018, p. 33 – 41
L’histoire des substances et des déchets toxiques a commencé au cours de l’Antiquité avec l’extraction et le raffinage du plomb, du cuivre, de l’étain et d’autres métaux [1]. Le cas du saturnisme des Romains rappelle les conséquences d’une intoxication à grande échelle [2,3]. Mais l’extraction de l’or à l’aide de mercure a également fait histoire. Par ailleurs, les dommages environnementaux et les problèmes de santé liés à cette ancienne activité minière sont souvent dus aux résidus d’extraction et de raffinage des métaux.
Cette histoire des substances et des déchets toxiques arrive à un tournant dans la deuxième moitié du XIXe, mais surtout au cours du XXe siècle [4], avec l’apparition de la chimie de synthèse et le développement massif de l’industrie chimique. C’est en relation avec ces événements que l’on découvre de nouveaux problèmes, d’une ampleur jusqu’ici inconnue, avec des impacts à l’échelle globale pour la santé humaine et l’environnement. Et alors que ces problèmes ont été reconnus en théorie, leur importance effective a pendant longtemps été sous-estimée et n’a, en conséquence, pas été prise en compte de façon adéquate [5].
Comme les industries chimiques avaient besoin de grandes quantités d’eau pour leurs processus de fabrication, elles étaient souvent construites directement sur les rives des rivières et des lacs. Les eaux usées, mais également des résidus solides ont alors été rejetés directement dans les eaux naturelles. De tells pratiques ont été documentées en détail dans le cadre de recherches historiques [6].
C’est ainsi que commence l’histoire des déchets chimiques qui conduira plus tard au stockage de substances toxiques pratiqué jusqu’à nos jours dans des mines souterraines, souvent désaffectées.
L’opinion publique face aux nuisances
Mauvaises odeurs et autres nuisances ont conduit à des protestations publiques et à l’intervention des autorités dès les premières décennies du XXe siècle, incitant les industriels à chercher d’autres moyens que le rejet dans les eaux de surface pour se débarrasser des déchets. Des exploitations de graviers ou d’argiles à proximité des sites de production ont offert un premier exutoire en recevant un mélange de déchets ménagers ou industriels [7]. Toutefois, la pollution de captages d’eau potable, ou encore des nuisances comme des fumées de décharges mal gérées, ont incité industries et autorités à chercher des sites de plus en plus éloignés des centres de population [8,9]. La pratique consistant à déverser des déchets organiques et inorganiques hautement toxiques dans des décharges de surface a cependant été maintenue par les producteurs, et les autorités d’État ne s’y sont guère opposées. Pendant plus de cent ans, des millions de tonnes de déchets hautement toxiques ont ainsi été déversées [7].
Au fil des ans, et en raison des pollutions d’eaux souterraines ainsi que des pressions exercées par le public, les exploitants ont progressivement modernisé ces sites d’enfouissement en adoptant des mesures techniques de confinement et de traitement des lixiviats et des gaz[1]. Après la deuxième guerre mondiale et face à une croissance économique sans pareil, les pratiques de déversement de déchets se sont accélérées. Les industries et les États ont même utilisé les mers et les océans pour se débarrasser de leurs déchets industriels chimiques et radioactifs, et même des lacs pour l’élimination de leurs munitions et explosifs périmés [7,10]. Face à la résistance croissante contre de telles pratiques et à l’interdiction de déverser des déchets hautement toxiques dans la mer, les leaders industriels et les autorités gouvernementales ont cherché de nouvelles stratégies pour traiter à bas coût les produits hautement toxiques.
Le renforcement des réglementations
Vers la fin des années 1970, plusieurs cas d’intoxication sévère de riverains de sites de production industriels ou de déversement de déchets ont alerté les populations concernées et ont suscité des réactions vives des médias. C’est particulièrement le cas de la décharge de «Love Canal» ou du scandale des fûts de dioxine de Seveso en Italie [12], qui ont eu un impact majeur et qui ont conduit à un changement important. À Niagara Falls (New York, États-Unis), une décharge aménagée dans un ancien canal reliant la rivière du Niagara au Lac Erie et ayant partiellement servi au dépôt de déchets chimiques a entraîné de sérieux cas de maladies [11]. En Italie, un grave accident dans l’usine Icmesa, une filiale de Roche (Bâle), libère de la dioxine (TCDD) et contamine population et environnement.
Les fûts avec les déchets de dioxine de l’usine disparaissent et réapparaissent au nord de la France après une odyssée de plusieurs mois [12,13].
À partir du milieu des années 1970, les effets de la mise en décharge des déchets issus de la production chimique dans divers sites aux États-Unis ont été particulièrement dénoncés [14]. Par la suite, le Congrès américain a adopté en 1976 la «Loi sur la conservation et la restauration de l’environnement» [15] qui fournit la base légale pour la manipulation, l’élimination et la surveillance des sites de déchets dangereux. En Europe, la débâcle et l’errance autour des fûts de Seveso ont également conduit à un durcissement de la législation et au développement d’incinérateurs de déchets organiques de synthèse dangereux [16]. D’autres cas emblématiques, dont ceux des décharges pour déchets dangereux à Schönberg (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Allemagne) ou la décharge chimique de Koelliken (SMDK) sur le plateau suisse ont secoué l’opinion publique [17,18] et ont augmenté la pression sur les industries et les autorités responsables.
Mais qu’adviendrait-il des déchets dangereux inorganiques qui ne pourraient être détruits par aucune méthode de combustion et qui ne seraient pas autorisés à être immergés en mer? Faudra-t-il systématiquement les retraiter pour les rendre inertes, ce qui serait très coûteux? N’existerait-il pas aussi une possibilité d’enfouir ces déchets chimiques hautement toxiques à un coût modéré, notamment dans d’anciennes mines, et de sceller plus tard l’accès aux puits?
La découverte de la profondeur géologique
L’industrie chimique a alors étudié la possibilité d’utiliser d’anciennes mines souterraines de sel comme dépôts pour ses déchets toxiques. L’idée n’était pas nouvelle, des géologues avaient développé des idées similaires pour l’élimination des déchets radioactifs lors de la première conférence internationale sur l’énergie atomique à Genève en 1954 [19]. En 1957, l’influente Académie nationale américaine des sciences recommande explicitement d’utiliser les mines de sel comme sites de dépôt [20]. D’autres conférences internationales organisées sous les auspices de l’Agence internationale de l’énergie atomique ont confirmé cette option [21].
En 1965, la République fédérale allemande (RFA) a été le premier pays à ouvrir un dépôt pour des déchets de faible et moyenne radioactivité dans la mine d’Asse, en Basse-Saxe [22]. En 1971, la République démocratique allemande (RDA) a transféré ses déchets radioactifs de faible et moyenne activité dans l’ancienne mine de potasse et de sel-gemme de Morsleben, en Saxe-Anhalt [23]. Les dépôts de sel semblaient remplir toutes les conditions requises pour une élimination sûre des éléments radiotoxiques pendant de longues périodes. En outre, l’un des principaux laboratoires nucléaires américains des États-Unis – le Laboratoire national d’Oak Ridge (ORNL) dirigé par Alvin Weinberg [24] – a commencé à rechercher un site pour les déchets radioactifs de haute activité dans des anciens sites d’exploitation de sel. Un site a notamment été identifié dans la mine de Carey près de Lyons au Kansas. Entre 1965 et 1968, de premiers travaux d’investigation ont été réalisés pour la construction du dépôt souterrain [25]. Le projet a cependant dû être abandonné en 1971 après la découverte de 29 anciens puits de prospection gazière et pétrolière dans le voisinage immédiat, remettant en cause l’étanchéité de la mine [26].
Stratégie de remplacement
Si l’échec du projet « Carey » à Lyons constituait un sérieux revers pour les projets d’élimination des déchets de l’industrie nucléaire dans les roches salines, il ne remettait pas en cause la stratégie du stockage souterrain de déchets hautement toxiques. Ce sont d’autres raisons qui vont compliquer la situation des producteurs industriels :
- la résistance croissante contre l’entreposage de déchets toxiques dans des décharges en surface (déjà mentionnée);
- la remise en question des exportations de déchets dangereux vers les pays en voie de développement jusqu’à leur interdiction en 1989 par la Convention de Bâle ;
- l’interdiction de l’immersion de déchets hautement toxiques en mer, suite à des actions spectaculaires de l’organisation environnementale Greenpeace (en particulier en 1995 autour de la plate-forme Brent Spar que la compagnie Shell s’apprêtait à saborder en pleine mer).
Au vu de cette situation, la possibilité de stockage des déchets hautement toxiques dans d’anciennes mines apparaissait comme une aubaine. Cette pratique est introduite par une société, filiale à l’époque de BASF. Le premier dépôt profond entre en fonction en 1972. Il s’agit alors d’une première décharge souterraine pour déchets inorganiques dans les cavernes de la mine de Herfa Neurode en Thuringe (RFA) [27]. Depuis, l’utilisation des anciennes mines est devenue une spécialité très allemande: les gisements de sel, soit sous la forme de roches salines stratifiés, non déformées tectoniquement, soit sous forme d’accumulations fortement déformées dans des diapirs[2], étaient considérés comme roches hôtes idéales.
Cependant, certaines mines de sel dans l’est de l’Allemagne présentaient des problèmes géomécaniques graves. En effet, pendant les dernières années du régime communiste, ces gisements avaient été exploités à un point tel que de graves risques d’effondrement se sont manifestés. Après la réunification des deux États allemands en octobre 1990, ces risques de sécurité ont fait l’objet d’actions gouvernementales. À une époque de budgets étatiques serrés, quoi de plus logique que de stocker des déchets dans ces anciens gisements menacés d’effondrement dans le but de stabiliser les cavités souterraines ?
Une spécialité allemande
Les diverses sociétés qui se sont constituées durant cette période se sont avérées littéralement des mines d’or pour leurs propriétaires. Dans l’Allemagne réunifiée, une bonne douzaine de sites dans le sous-sol géologique ont été transformés en déchetteries souterraines dans lesquels tous les déchets inorganiques possibles, non-infectieux, non-incinérables et non-explosifs ont été entreposés. En 1987, l’ancienne RDA avait déjà utilisé le site de déchets spéciaux, déchets qui ont de nouveau été récupérés (processus qui s’est terminé en 1996) [28]. Après la réunification, cette pratique de mise en dépôt de déchets spéciaux est devenue courante. Dans le sud de l’Allemagne, les deux mines de sel de Heilbronn et Stetten (Haigerloch) amélioraient leurs affaires en acceptant le dépôt de déchets spéciaux. Dans le centre de l’Allemagne se créait une série de décharges souterraines pour déchets spéciaux sur les sites de Zielitz (Saxe-Anhalt) ou Sondershausen (Thuringe). D’autres mines étaient utilisées pour le remplissage par des techniques de pompage, comme celles de Bleicherode (Thuringe) ou Teutschenthal (Saxe-Anhalt). Plus d’une douzaine de sites souterrains avec des profondeurs entre 100 et 1 000 m sont entre-temps utilisés pour l’évacuation de déchets spéciaux. L’Allemagne est devenue le leader mondial de cette méthode d’enfouissement.
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La méthode de stockage
Ce sont principalement des déchets hautement toxiques qui sont déposés, comme des déchets mercuriels, des sels d’arsenic et des résidus d’autres métaux lourds comme le plomb, le cadmium ou le nickel, ensuite des sels de trempe issus de la métallurgie, des déchets cyanurés, des résidus galvanoplastiques, des résidus issus d’assainissements de sites contaminés en surface ou d’anciennes décharges à déchets spéciaux et bien d’autres. La méthode d’enfouissement est simple. Dans le cas des décharges souterraines pour déchets spéciaux, les résidus sont soit placés dans de grands sacs de
polypropylène d’un contenu de 1 000 litres environ, munis de grandes sangles, qu’on dénomme big-bags et qui sont posés sur des palettes en bois ; soit dans des fûts en acier de 200 litres de contenu, qui sont également placés, par nombre de quatre, sur des palettes en bois. Les palettes sont ensuite transportées et placées à l’aide de chariots élévateurs à fourche sur le sol de la mine ou les couches de déchets antérieurs. L’entreposage se fait jusqu’au plafond de la mine. On y applique également une technique de remblayage des vides finaux par la propulsion de sel. Les déchets entreposés dans les décharges souterraines sont généralement considérés récupérables pendant un certain temps. Par contre, les déchets ne sont pas récupérables dans les mines remplies par des déchets injectés par pompage. Ces déchets sont mélangés avant leur injection avec du ciment ou d’autres additifs et durcissent sur place. Cette technique de mise en place, qui devrait imperméabiliser les galeries de dépôt, est principalement appliquée dans des secteurs de mines instables ou menacés d’écroulement. Plusieurs centaines de milliers de tonnes de déchets spéciaux sont ainsi évacuées chaque année sur chacun des sites.
Le mythe du sel « sec », sans eau
Fait intéressant, l’opposition publique au déversement de déchets chimiotoxiques dans les anciennes mines, contrairement à celle des déchets radioactifs, est généralement restée faible. D’une certaine manière, les sociétés d’exploitation allemandes et les autorités de régulation ont créé et entretenu le mythe des gisements de sel secs, sans eau, et qui le resteraient à long terme[3] [29]. Ce modèle du sel qui se déforme (le sel qui «coule»), en enrobant les déchets de façon étanche, et dont les cavités se ferment automatiquement par cette déformation (le sel qui «ferme») s’est laissé commercialiser de façon très efficace – même par des compagnies françaises[4]. Les clients potentiels, et avant tout les producteurs de déchets et les usines d’incinération de déchets, ont été rapidement convaincus par les conditions idéales qui se trouvaient dans les mines. Par ailleurs, le prix du stockage par cette méthode de gestion a été constamment ajusté à la baisse. Devant cette situation, d’autres voies d’élimination des déchets, notamment celles nécessitant des traitements chimiques et physiques coûteux sont restées inexploitées ou ont été éjectées du marché. Les mines de sel ne sont cependant pas sèches a priori – comme admis généralement hors de l’Allemagne [29,30]. Les puits profonds sont en permanence menacés par des entrées d’eau; les mineurs le savent depuis toujours. En examinant l’histoire de l’extraction du sel à travers le monde, on découvre de façon répétée des récits d’entrée d’eau, avec des conséquences catastrophiques, même en Allemagne [29-32]. Des mines entières ont été perdues. Même des mines modernes ont été abandonnées au cours des dernières décennies en raison de la pénétration incontrôlée d’eau. Cela s’est produit par exemple dans la mine de potasse de Patience, au Saketchewan, à la fin des années 1980 [33]. Malgré des injections massives de béton, cette mine a été immergée par l’arrivée d’eau par des fractures. D’autres cas récents de pertes spectaculaires de mines de sel sont celles de la mine de Retsof (New York) [34] ou celle de Jefferson Island Salt Mine (Louisiane) [35].
De multiples facteurs à prendre en compte
Cependant, toutes ces mauvaises surprises n’ont pas remis en cause de façon fondamentale l’enfouissement de déchets toxiques dans une installation profonde spécifiquement conçue à cet effet. Il est vrai, une mine traditionnelle n’est pas un site d’élimination des déchets. Mais l’échec d’un projet de stockage dans une telle mine peut également avoir d’autres raisons que les seules raisons techniques: on peut ainsi mentionner, entre autres, la prédominance des facteurs économiques, le manque de soins dans la planification, le manque de culture de sécurité. En fait, ces facteurs doivent être pris en compte dès le début d’un projet concernant des déchets hautement toxiques. Mais les tentatives pour construire et exploiter à long terme un dépôt géologique profond ont trop souvent échoué à ce jour (voir le tableau). L’erreur stratégique fondamentale qui a été commise dans ce type de projet réside dans le fait que les objectifs d’un projet donné ne sont pas interchangeables. Une mine est conçue pour l’extraction de matières premières et non pas pour l’élimination de déchets. La seule maximisation du profit, par le biais d’un élargissement de la fonction de l’installation, n’a conduit jusqu’à présent qu’à des problèmes de sécurité massifs, quel que soit le projet considéré. Plus fondamentalement encore, les dépôts dans des formations géologiques profondes de quelques centaines à peut-être 1 000 mètres de profondeur peuvent être soumis au cours de leur vie à des changements fondamentaux. La perception des risques au fil du temps change. Ceux des objectifs aussi. Cela vaut également pour les conditions économiques.
L’une des omissions majeures est l’absence d’une culture de sécurité digne de ce nom, comme le montre aussi l’exemple de Stocamine ou plusieurs lots de déchets – et non pas un seul – ont été descendus malgré les contrôles «sévères» d’entrée [36] (voir encadré). Les aspects liés à la gouvernance de projets de dépôt de déchets dangereux dans le sous-sol profond ne vient que de commencer et montre la nécessité de développer ce volet[5]. Mais le manque visible de la culture de sécurité dans les projets poursuivis de nos jours n’est pas la seule raison pour s’inquiéter.
Contrairement aux projets de déchets radioactifs [37], un des facteurs omis dans la discussion pour les déchets chimio-toxiques et celui des conflits de l’exploitation du sous-sol et les concepts d’intrusion. N’oublions pas que les techniques de fonçage de puits se sont très rapidement développés et permettent aujourd’hui le creusement de puits de 2 000 m de profondeur et de 12 m de diamètre en l’espace de quelques mois. Les scénarios d’intrusion du sous-sol sur des périodes d’au moins 10 000 ans doivent être élaborés dans ce contexte [38]. La conclusion est donc évidente: la situation exige non seulement un examen approfondi des stratégies d’élimination des déchets toxiques à la lumière des connaissances actuelles mais aussi – du moins pour ce qui est les déchets chimio-toxiques – des techniques performantes d’immobilisation. Dans la problématique de l’élimination des déchets toxiques, seule une telle approche nous paraît répondre à nos obligations morales pour préserver les intérêts des générations futures.
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L’incendie de Stocamine
Stocamine est le nom commercial d’une entreprise qui était chargée de développer un stockage souterrain de déchets dangereux, non radioactifs, dans des couches de sel accessibles par un puits, à environ 500 m de profondeur. Ce site souterrain, localisé à Wittelsheim (Alsace), était auparavant utilisé pour l’exploitation de la potasse (mine de sel) [1]. Le projet a été soumis à une enquête publique en 1991. Une nouvelle enquête est lancée suite à la loi de 1992 sur les déchets qui imposait la réversibilité du stockage. En février 1997, l’arrêté préfectoral portant autorisation d’exploiter fut publié, avec comme condition la réversibilité du stockage durant une période de 30 ans [2]. Tous les responsables de l’entreprise comme ceux des autorités compétentes ont publiquement soutenu cette exigence de la réversibilité [3]. Les opérations de stockage purent commencer. De nouvelles galeries, destinées au stockage, furent creusées dès 1998 (à 23 et 25 m sous les couches de sylvinite) pour y entreposer les colis de déchets, réceptionnés à partir de février 1999. Pendant les trois années qui suivirent, 44 000 tonnes de déchets furent entreposés. Le 10 septembre 2002, un feu se déclara dans l’une des cellules de stockage. Sa maîtrise fut laborieuse. L’origine fut déterminée: il s’agissait de débris issu de l’incendie d’une usine de produits phytosanitaires recouverte de plaques d’amiante. Les colis classés amiantés étaient encore chauds et dégageaient un liquide nauséabond. Le personnel de Stocamine les a donc déclarés non conformes. C’est le directeur du site qui les a fait descendre contre l’avis de ses collaborateurs, et en particulier de son directeur technique. Ainsi, le jugement en appel du tribunal de Colmar précise «que l’acceptation des déchets Solupack était réalisée en infraction aux prescriptions de l’arrêté préfectoral. Qu’en effet ces produits se présentant sous forme de mélange indéfinissable ne devaient pas être stockés et ce conformément à l’interdiction mentionnée par les dispositions de l’article Il dudit arrêté». Cet épisode documente bien le manque de culture de sécurité qui régnait sur le site. L’incendie conduisit à l’arrêt de l’exploitation du stockage. L’incendie allié à une rentabilité insuffisante du site va mener à la fermeture de l’exploitation en 2002. Après plusieurs années d’études et de longues controverses entre partisans d’un déstockage complet ou partiel et ceux d’un confinement étanche [5], l’État a retenu un projet de fermeture qui prévoit un déstockage partiel des déchets puis le confinement par des barrages étanches [6].
[1] Groupement d’intérêt public Stocamine, sur stocamine.com
[2] Arrêté préfectoral n° 011894 du 10 juillet 2001.
[3] Interviews télévisés de M. Michel Streckdenfinger (PDG de Stocamine) sur FR3 Alsace, le 7 novembre 1998, et interview du directeur de la DRIRE Alsace, Pierre-Franck Chevet, 1998.
[4] Arrêt de la cour d’appel du tribunal correctionnel de Colmar, 15 avril 2009. Sur stocamine.com
[5] Rapport d’expertise, comité de pilotage Stocamine, 2011. Sur stocamine.com
[6] Le site de la concertation publique, concertation-stocamine.fr
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Notes
[1] Lixiviat : jus polluant issu de la décharge. Gaz : gaz dû à la décomposition organique à l’intérieur de la décharge.
[2] Diapir : structure saline en forme de « champignon » qui résulte de la remontée du sel et du percement des strates rocheuses supérieures.
[3] Dans le livre L’extraction minière de potasse et de sel (éditeur W. Gimm, 1968, en allemand), il est expliqué que « Le fait de tenir intentionnellement au secret les dangers hydrologiques avait en fait son origine dans le système économique de l’époque et particulièrement la situation spéciale dans les premiers jours de l’industrie de la potasse. Des rentrées d’eau étaient au mieux passés sous silence, afin de ne pas inquiéter les propres actionnaires des compagnies et d’éviter qu’ils retirent les capitaux mis à disposition des compagnies menacés, etc. »
[4] Dans un rapport de la société Bertin Technologies, il est écrit ceci : « Pourquoi utiliser des mines de sel pour le stockage ou l’élimination des résidus ? Les mines de sel sont bien adaptées à l’élimination à long terme ou “perpétuelle” des déchets, les résidus qui ont une lixiviation élevée. Il offre un environnement fermé unique pour le stockage : couches de sel imperméables au gaz naturel, bien isolé (profondeur de 150 à 1 000 m), très sec, avec une atmosphère stable, permettant une conservation à très long terme. Les barrières d’eau naturelles (couches imperméables telles que les couches d’argile) protègent les couches de sel contre risque d’eau (infiltration ou inondation) » (traduction des auteurs). Voir “Feasibility Study of the Salt Mines Storage Route”, 2000, pvc.org/upload/documents/Salt_Mines_Step_1.pdf
[5] Des analyses sur la gouvernance de projets de dépôts géologiques profonds ont été élaborées par les auteurs pour des mandants étatiques suisses. Malheureusement ces études n’ont pas été publiées officiellement. Une étude similaire pour le Karlsruher Institut für Technologie a été élaborée en 2017.
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