Photo: „Les enfants de l’an 2000“; les barrières géologiques pour la sécurité à long terme, le cuivre pour l’éternité?
Cette semaine lisez également: https://www.infosperber.ch/Artikel/Umwelt/Doris-Leuthard-will-das-AKW-Beznau-retten
Un autre flop pour l’industrie nucléaire
Le 23 janvier 2018, le Tribunal suédois de l’environnement a rendu son verdict tant attendu sur la demande de permis de l’entreprise SKB[1] pour un dépôt de déchets hautement radioactifs à Forsmark, en Suède. [2] Après avoir entendu tous les partis, il a pris une décision de grande portée et très médiatisée: des questions de sécurité fondamentales resteraient ouvertes, notamment en ce qui concerne les colis en cuivre utilisés comme conteneurs de stockage. Le Tribunal a suivi les arguments du Bureau des essais sur les déchets atomiques des organisations environnementales suédoises [3] et de la Société suédoise pour la protection de l’environnement. [4] Cette décision a reçu une attention large et mondiale. [5]
Qui décide de quoi?
La Suède a mis en place une structure de procédure spéciale et des autorités compétentes pour l’évaluation des projets (Figure 1). En plus de la dichotomie structurelle du processus – l’industrie nucléaire et l’agence d’exécution d’une part, et l’autorité de conduite du projet et de sécurité de l’autre – il y a une dualité dans le processus de vérification en Suède. [6] La loi suédoise sur l’énergie atomique désigne en tant qu’autorité de contrôle compétente l’Autorité suédoise de radioprotection (SSM) [7]. En revanche, le droit de l’environnement [8] prescrit que le tribunal suédois de l’environnement est l’organe responsable des questions environnementales. Les deux autorités sont donc impliquées dans le processus d’évaluation et d’approbation des projets de stockage final, ce qui rend le processus sophistiqué mais également équilibré et finalement plus sûr. La prise de décision finale revient au gouvernement. Il est également important de noter la position particulière de la communauté locale, qui est impliquée de plein droit dans le processus d’approbation et reçoit ainsi un statut spécial et beaucoup d’influence. Les communes et les régions choisies en Suisse (et ailleurs) comme sites potentiels de stockage ne peuvent que rêver d’une telle intégration.
Figure 1: Les principaux acteurs et les étapes du processus d’approbation en Suède (d’après Persson 2014[9])
Le concept suédois de gestion des déchets: un aperçu bref
Comme dans les autres pays industrialisés, les années soixante-dix du siècle dernier ont été marquées en Suède par d’intenses conflits sociaux sur l’énergie nucléaire. En raison des tensions politiques croissantes dans la société, le parlement suédois a adopté en avril 1977 une loi – la „loi sur la prescription“ („Stipulation Act“) – qui déterminait des conditions pour l’approbation de nouveaux réacteurs. Les exploitants des centrales nucléaires devaient démontrer qu’ils étaient en mesure de construire un dépôt «totalement sûr» pour les déchets radioactifs de haute activité – combustible usé ou déchete vitrifiée de haute activité issus du retraitement. Ceci incluait la démonstration de l’existence d’un site de stockage approprié [10]. En décembre 1977, à peine neuf mois après l’adoption de la loi sur la prescription, l’industrie nucléaire a présenté son premier projet KBS-1 pour l’élimination des déchets de haute activité retraités. [11]
Ont suivi deux études sur le stockage du combustible usé (KBS-2 [12] puis KBS-3). Les trois études étaient basées sur le concept de l’élimination des déchets de haute activité dans une mine à 500 m de profondeur, selon le principe des multibarrières (Blog du 27 juin 2016) – de barrières successives et superposées (Figure 2). Ce modèle suédois a également servi de modèle pour le „projet garantie“ suisse – un « flop » de nature particulière dans notre histoire de stockage des déchets nucléaires. [13]
Figure 2: Le concept „multibarrières » suédois de la fin des années 1970 (notes infra-paginales 11 et 12, Buser & Wildi 1980 : Wege aus der Entsorgungsfalle, Fondation Suisse de l’Energie, p.28-29. L’épaisseur des parois en cuivre des conteneurs de stockage a diminué depuis cette période de 200 à 50 mm.
En Suède, la première barrière était constituée par un conteneur en cuivre, qui était censé entourer les déchets de haute activité vitrifiés ou le combustible usé. Ce concept a subi plusieurs changements jusqu’à nos jours (Figure 3). L’un des principaux changements a été la refonte du conteneur de stockage qui, selon le concept modifié, devrait consister en une double coque en acier et en cuivre. Une coquille intérieure en acier remplace ainsi le cuivre. Cela permet d’économiser beaucoup de cuivre, ce qui rend l’emballage du conteneur et donc l’exécution du projet de stockage beaucoup moins cher.
Figure 3: Installation de stockage selon le concept KBS avec des conteneurs en cuivre déposés soit en position verticale (à gauche), soit en position horizontale (à droite). A l’arrière-fond on aperçoit les infrastructures d’accès et le dépôt géologique profond (Thurner, E., Pettersson, S., Snellmann, M. & Autio, J. 2006: KBS-3H – Development oft he Horizontal Disposal Concept, INIS, IAEA, https://inis.iaea.org/search/search.aspx?orig_q=RN:38099784 ).
La controverse sur la corrosion du cuivre
Les conteneurs de stockage en cuivre sont, depuis fort longtemps, à l’origine de discussions sur la sécurité à long terme [14]. Déjà au début des années 1980, on craignait que le cuivre puisse subir une corrosion importante, même par l’eau sans oxygène. [15] D’autres travaux scientifiques n’ont pas pu confirmer ces conclusions. [16] Et jusqu’à ce jour, les sciences ne sont pas d’accord sur cette question; les résultats et leur interprétation restent controversés. [17] L’évaluation de la littérature sur la corrosion du cuivre conclut, que «les preuves scientifiques étayant l’hypothèse selon laquelle l’eau oxyde le cuivre ne sont pas concluantes et il existent de nombreux aspects qui ne sont pas clairs et qui restent contradictoires». [18] Pour clore ce débat: l’affaire est complexe.
Malgré une évaluation généralement positive de la demande d’autorisation soumise par SKB [19], mais en tenant compte de la controverse scientifique existante, il n’est pas surprenant que la Cour environnementale suédoise ait décidé qu’il y avait besoin d’éclaircissements supplémentaires concernant la question de la corrosion des futs en cuivre et de la sécurité à long terme.
Un vrai un désastre en termes d’image et d’acceptation d’un tel projet! En attendant, le gouvernement suédois a annoncé qu’il ne prendra aucune décision sur le projet en 2018, [20] ce qui signifie simplement que d’autres recherches devront être menées avant qu’une décision puisse être prise. Bien sûr, dans les coulisses, une lutte scientifique et politique acharnée est susceptible de se produire. L’industrie nucléaire va pousser comme elle peut, afin de faire avancer le processus de décision. Et les adversaires exigeront d’autres études scientifiques. Mais quel que soit le développement ultérieur: Le dommage est là, et il est susceptible d’être beaucoup plus grand qu’il n’y paraît au premier abord.
Un échec avec une issue incertaine
Le refus du tribunal environnemental ne fait pas que rejeter le projet suédois de gestion des déchets. Le projet finlandais d’Onkalo, [21] pratiquement identique au projet suédois, sera également affecté, même si l’opérateur finlandais Posiva annonce sur son site internet quelques jours après le verdict qu’il n’attend aucun impact de la décision suédoise sur son projet.
Actuellement on a le droit de se demander comment un problème scientifique fondamental, qui a été discuté par les scientifiques pendant au moins 30 ans, n’est toujours pas entièrement compris. L’intégrité des colis en tant que première barrière est d’une importance primordiale pour les projets de stockage dans les roches cristallines perméables. Il est donc surprenant que les sociétés d’exploitation en Suède (SKB) et en Finlande (Posiva) ne fassent confiance, depuis des décennies, qu’à ce seul concept controversé de fut en cuivre – signe d’une planification minimaliste et peu éclairée. Historiquement, l’industrie nucléaire n’a jusqu’à présent développé ses concepts et ses projets que sur une base étroite et n’a jamais vraiment cherché des alternatives aux projets existants. Cette manière de faire met dans une mauvaise lumière les institutions responsables, concernant notamment leur culture de sécurité et leur manière de gérer les erreurs. Elle démontre également l’incapacité de planification stratégique pour un projet d’envergure telle la gestion des déchets nucléaires.
Les problèmes d’une éventuelle utilisation du cuivre dans le futur s’ajoutent aux problèmes de sécurité. [22] Ces aspects sont complètement sous-estimés à ce jour. Par ailleurs, de plus en plus de scénarios de risques d’intrusion émergent grâce à des techniques de forage à la pointe de la technologie, plus efficaces et moins coûteuses. Mais ces problèmes sont des facteurs qui dérangent et que les institutions responsables préfèrent ne pas mentionner. Une grave erreur: compte tenu des autres points faibles de ces programmes, on peut s’attendre à ce que les problèmes et retards – comme actuellement dans le cas des problèmes liés à l’utilisation du cuivre – se répètent à tout moment.
Et: Qu’en est-il de la Suisse?
Ce sont des expériences qui sont également congrues avec notre expérience en Suisse. Les opérateurs et les autorités de sécurité – principalement la Nagra et l’IFSN – n’ont jamais montré beaucoup d’intérêt à d’autres chemins et solutions, tels que ceux mis en avant dans son rapport annuel de 2007 par la Commission fédérale pour la sécurité des installations nucléaires (KSA) ou, dès 2008, par la Commission fédérale de sécurité nucléaire suisse (CSN). Autorités de sécurité et Nagra se sont défendus d’entrer en matière sur de nouveaux matériaux de conteneurs et ont fait le nécessaire pour couler au plus vite de telles propositions. En 2007, par exemple, dans son rapport final au Conseil fédéral, la KSA a réitéré sa recommandation d’examiner d’autres matériaux de conteneurs «afin d’assurer une sécurité suffisante du stockage géologique en profondeur et d’éviter des retards inutiles» [23]. Cette recommandation a été reprise par la CSN [24] et a depuis été répétée dans le cadre de la révision du concept de stockage. Cependant, sans beaucoup de succès: Nagra a mandaté plusieurs spécialistes des matériaux (Canister Materials Review Board“ CMRB) pour vérifier les problèmes de corrosion sur des conteneurs en acier et d’évaluer d’autres matériaux et matériaux de conteneurs. Les conclusions de ces études tiennent ce que Nagra en attendait: «Le „Canister Materials Review Board“ (CMRB) est d’avis que le programme de recherche de la Nagra est soigneusement planifiée, efficace et réaliste ». [25] En conséquence, la coopérative reste sur sa voie et approfondit seulement les questions de technique de soudage des conteneurs en acier. [26] D’autres questions, telles les conflits de ressources et encore les risques d’intrusion ne semblent intéresser personne dans les organismes compétents en matière de stockage des déchets nucléaires en Suisse. On continue aveuglément sur sa voie, jusqu’à ce qu’on se trouve (comme maintenant la Suède) de nouveau dans une voie sans issue ; une politique myope, stupide et coûteuse.
Kommentar verfassen