Abstact
Partant des événements survenus autour du dépôt allemand de déchets chimio-toxiques «Asse II», cet article aborde la question de la récupérabilité des déchets radioactifs et chimio-toxiques sous l’angle fondamental de la faisabilité technique et économique. Il plaide pour que la notion de «réversibilité» soit concrétisée à l’aide de critères permettant d’évaluer si la récupérabilité des déchets du sous-sol profond peut effectivement être mise en œuvre à grande échelle. La question centrale concernant la récupérabilité pourrait donc être la suivante : si la récupérabilité est techniquement réalisable, mais économiquement non viable, peut-on encore parler en toute bonne conscience de réversibilité et de réversibilité des processus ? Ou ne serait-il pas souhaitable d’en finir avec les fictions et de réévaluer la gestion des déchets radioactifs et autres en fonction des risques, ce qui aurait également des conséquences sur la stratégie de stockage? Une chose s’impose dans tous les cas : il ne sera plus acceptable à l’avenir de rompre une promesse de réversibilité de manière aussi éhontée que dans le cas du dépôt chimio-toxique «Stocamine».
Première partie
Le 17 mai 2024, le magazine allemand «Spiegel»[1] a rapporté que le site de stockage géologique de déchets nucléaires Asse II près de Wolfenbüttel, en Basse-Saxe, était confronté à de «sérieux problèmes» en raison d’afflux d’eau supplémentaires dans cette mine en état de dégradation avancée.[2] Les quantités d’eau supplémentaires qui s’infiltrent ou qui ne sont plus captées sont certes encore faibles, avec 6 m3/jour. L’hydraulique d’écoulement reste à expliquer. Des développements sont en cours, qui montrent que les eaux souterraines ont ouvert de nouvelles voies vers les profondeurs. L’annonce a été reprise par différents médias et la question a été soulevée de savoir si un sinistre s’annonçait déjà.[3] Personne ne le sait aujourd’hui avec certitude.
Le fait est que la situation s’est compliquée, voire aggravée. En effet, de nouvelles voies d’écoulement ou une augmentation des infiltrations d’eau, même minimes, peuvent effectivement provoquer l’ennoyage – et à la suite l’affaissement – d’une mine. Si l’on ne parvient pas, ou pas à temps, à endiguer ces infiltrations, comme cela a été le cas pour les points d’égouttement dans les années 1980 et au début des années 1990 dans la mine de Heilbronn,[4] le scénario d’un remplissage complet des cavités ouvertes à l’intérieur de la mine risque effectivement de se produire. Une évolution qui est programmée pour la mine d’Asse, au plus tard à long terme. La seule question qui se pose sur ce site est donc de savoir si l’on parviendra à retarder la période de fonctionnement à plein régime jusqu’à ce que la récupération (ou le confinement sûr) des déchets stockés soit achevée – ce qui représente tout de même une période de deux décennies dans l’état actuel de la planification. Ou s’il faut craindre que la mine se remplisse et s’affaisse avant ou pendant l’assainissement. Bien entendu, de tels développements soulèvent des questions fondamentales sur le principe de la récupérabilité. Respectivement sur les alternatives disponibles.
De l’eau, de l’eau, de l’eau, …
Les mines situées dans les entrailles de la terre sont toujours menacées par les infiltrations d’eau souterraine pendant la période d’exploitation ou lorsque les cavités sont ouvertes. La liste des mines qui ont dû être abandonnées au cours de l’histoire en raison d’infiltrations d’eau est longue.[5] Les mines de sel sont particulièrement menacées, car le sel est soluble. «L’infiltration d’eau dans les mines de sel est un accident assez fréquent », peut-on lire à ce sujet dans une publication spécialisée française datant de 2004 déjà.[6] De tels accidents étaient «très fréquents dans les anciennes mines, car le sel était exploité à proximité d’ ‘affleurements’ connus, situés à proximité des sources de sel : les mines étaient peu profondes, souvent situées aux limites des gisements, où le sel est en contact direct avec les eaux souterraines. Cependant, les progrès considérables des techniques de prospection et d’exploitation n’ont pas éliminé, loin s’en faut, de tels accidents ». Des accidents graves, allant jusqu’à la perte totale d’une mine, sont survenus encore dans les dernières décennies, comme dans la plus grande mine de sel américaine, Retsof (New York) en 1994/1995[7], celle de Cassidy Lake (Nouveau-Brunswick, Canada)[8] à la fin des années 1990, ou les mines de Solotvyno en Ukraine qui ont été «inondées de manière inattendue et involontaire» en 2010.[9] La mine de Clover Hill à Cassidy Lake, qui était à l’époque co-propriété du groupe allemand de potasse et de sel K+S[10], et du groupe minier français EMC[11], largement impliqué dans le stockage souterrain de Stocamine, a été abandonnée: «Après plusieurs tentatives infructueuses de réduire l’afflux à un niveau acceptable pour l’exploitation, l’arrêt définitif des opérations minières a été annoncé et la mine a été fermée en 1997».[12]
Indépendamment de toutes les différences géologiques et hydrogéologiques, ainsi que des particularités de l’histoire de l’exploitation, il s’avère qu’il peut toujours y avoir des situations qui ne sont pas correctement évaluées par les exploitants, les autorités et les experts et qui sont en relation causale avec un afflux d’eau incontrôlé et finalement la perte de mines. Les mines de sel doivent surmonter un autre handicap, car lors de l’arrivée d’eau souterraine dans la mine depuis l’extérieur de la formation saline, les voies d’accès pour l’eau entrante deviennent de plus en plus grandes en raison de la dissolution du sel et les taux d’afflux peuvent donc souvent augmenter de manière exponentielle. «Le sel est normalement étanche, mais il peut aussi être perméable à l’eau»[13] est un constat fondamental qui décrit parfaitement les risques des mines de sel. Si de telles mines de sel se remplissent, il se produit un refoulement plus ou moins rapide de ces eaux suite à une perte de stabilité du bâtiment minier. La mine s’affaisse alors successivement et expulse les eaux et les boues qui y ont pénétré, parfois sous haute pression si l’affaissement est rapide.
Les afflux ou les infiltrations d’eau sont particulièrement problématiques pour les mines de stockage final de déchets hautement toxiques. Il est étonnant de constater à quel point cette expérience largement connue a du mal à être prise en compte et donc au sérieux par les exploitants de décharges, les législateurs et les autorités de contrôle – même si la connaissance de tels processus est connue, comme le signale par exemple la «Bundesgesellschaft für Endlagerung» (Société fédérale allemande pour le stockage définitif des déchets) à propos de la mine d’Asse dans un article de 2009 : « Actuellement, la radioactivité ne peut pas s’échapper depuis la montagne contre ces infiltrations d’eau souterraine. Le danger pour l’homme et l’environnement surviendrait si la mine devait se remplir de manière incontrôlée. L’eau mobiliserait alors des substances radioactives. Comme la pression de la montagne comprime le bâtiment de la mine, la solution peut être expulsée de la mine pleine vers les roches de couverture»[14]. Mais les planifications de récupération n’ont apparemment pas donné la priorité à ces scénarios inquiétants.
Un scénario similaire à celui décrit ci-dessus est également attendu dans la mine de stockage souterrain de Stocamine dans le « Bassin potassique » alsacien près de Mulhouse (F). Les saumures qui coulent dans le stockage souterrain et qui sont enrichies en substances toxiques pourraient ainsi être expulsées au cours des prochains siècles et se retrouver dans la nappe phréatique exploitée de la vallée du Rhin.[15] Il n’est donc pas nécessaire que des accidents catastrophiques comme celui de la mine de sel Cristal Diamond Salt Mine[16], inondée en 1981 sous le lac Peigneur en Louisiane, se produisent pour générer une pollution des eaux souterraines ou de graves dommages environnementaux.
… planification erronées et actes criminels …
Tant à Asse qu’à Stocamine, des quantités similaires de déchets industriels chimio-toxiques et de déchets radioactifs sont stockées dans le sous-sol. On estime qu’il y a entre 30’000 et 40’000 m3 de déchets par site. A cela s’ajoutent des sels contaminés par des saumures polluées. Cette pollution s’explique par la corrosion des emballages de déchets due à l’afflux d’eau. En somme, de petites, voire de très petites quantités si l’on compare avec les déchets spéciaux qui sont aujourd’hui stockés chaque année dans les décharges et mines souterraines allemandes ou qui sont prévus pour le programme de stockage définitif nucléaire. Pour les déchets spéciaux, il s’agit de bien plus de 5 millions de m3 de déchets spéciaux par an qui sont éliminés dans le sous-sol allemand en provenance des pays de l’UE et d’autres pays européens – soit bien plus de 100 millions de m3 depuis le début de cette pratique d’enfouissement. Pour les déchets radioactifs, ce sont au total plusieurs millions de m3 qui doivent être stockées en profondeur, rien qu’en Europe. On pourrait donc penser que la récupération de déchets aussi peu volumineux que ceux des mines d’Asse ou de Stocamine devrait être possible sans trop de problèmes. La réalité est toutefois différente.
A Asse, la planification de l’assainissement suit son cours. Depuis la décision d’assainissement prise par le Parlement fédéral allemand en 2013, 11 ans se sont écoulés jusqu’à aujourd’hui et 10 autres sont prévus avant que les déchets ne soient effectivement récupérés. Coût à l’heure actuelle: environ 4.7 milliards d’euros pour les travaux préparatoires et 4 milliards supplémentaires estimés pour la récupération. Autour de 9 milliards donc, sans garantie bien sûr quant au succès et aux coûts effectifs. On peut se demander si d’autres voies d’assainissement ou d’assainissement partiel n’auraient pas pu être empruntées, notamment pour les déchets de moyenne activité situés au niveau moins 511m de la mine.[17] Si le confinement de la mine devait s’accélérer et rendre plus difficile voir impossible l’assainissement du site d’Asse, non seulement la compétence des autorités et institutions en charge du dossier serait gravement atteinte, mais la crédibilité en matière de réversibilité et de récupération des déchets toxiques d’une mine s’en trouverait également sapée.
La situation est encore plus dramatique dans le cas de Stocamine. Lors de la planification et pendant l’exploitation de Stocamine, la réversibilité des décisions jusqu’à la récupération de tous les déchets ont été promises à l’unisson par les plus hauts responsables du projet et toutes les administrations et services compétents en charge du dossier.[18] Parmi eux, le chef de la DRIRE Alsace de l’époque et futur président de l’Autorité de sûreté nucléaire ASN, Pierre-Franck Chevet, membre lui-aussi du Corps des Mines. L’histoire de l’empêchement ciblé du déstockage des déchets se lit comme un roman policier au scénario honteux. Après l’incendie de septembre 2002, les institutions responsable ont en effet pris exactement la direction opposée à la récupération promise des déchets : Obstruction des autorités d’enquête dans la recherche des causes de l’incendie du bloc de stockage 15 ; modifications de la loi par la petite porte, autorisant le stockage illimité au lieu de la récupération ; inaction et tactiques de retardement pour le déstockage promis ; rapports d’experts à la pelle mettant en garde contre les dangers et les risques du déstockage, et affirmant même qu’une récupération était bien trop dangereuse et donc impossible, bien que le déstockage sûr ait pu être démontré lors du déstockage forcé des déchets dans les années 2015-2017,[19] etc.etc. … Entre-temps, on avait appris que des déchets spéciaux avaient été régulièrement entreposés illégalement dans le site de stockage souterrain. Les enquêtes et rapports correspondants des dernières années de l’«Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique OCLAESP», un corps spécialisé de la gendarmerie nationale française, confirment les déclarations des mineurs de l’époque concernant le stockage de déchets interdits, parmi lesquels on trouve également des déchets hospitaliers infectieux non-incinérés ou des hydrocarbures liquides! Ceci explique la raison principale du blocage de la récupération complète des déchets du stockage souterrain : la complicité de l’Etat français dans la dissimulation de ces dysfonctionnements et de ces actes délictueux.
Deuxième partie
… et les conséquences pour la récupérabilité
Quoi qu’il en soit, les conséquences de la non application des principes de récupérabilité et de réversibilité des déchets hautement toxiques entreposés dans le sous-sol sont désastreuses. Les acteurs étatiques perdent massivement leur crédibilité et mettent ainsi en péril d’autres programmes de stockage souterrain prévus. Dans le cas de la mine d’Asse, des questions fondamentales se posent quant à la lenteur de la planification du démantèlement du site. Dans le cas de Stocamine, le préjudice moral est d’ores et déjà énorme – non seulement parce qu’un État n’a pas rempli ses obligations de contrôle pendant l’exploitation du dépôt en profondeur, qu’il a couvert a posteriori des pratiques déloyales et délinquantes et qu’il a même participé directement à la dissimulation de ces délits. Mais aussi et surtout parce qu’il a sciemment trompé les habitants des sites et de la région. Des tromperies aux effets dévastateurs et durables, comme l’avait déjà compris Saint Augustin il y a près de 1 600 ans.[20] Les fraudes laissent des traces particulièrement profondes en termes de confiance. Les pertes de crédibilité s’en trouvent potentialisées. Or, avec une crédibilité perdue ou gravement entamée, il n’est guère possible de réaliser de nouveaux projets de stockage en profondeur.
Dans de telles conditions, la réversibilité ne peut plus être simplement évoquée dans le débat sur le stockage définitif comme une promesse en l’air, mais doit être définie concrètement en termes de contenu. Il est nécessaire d’examiner de manière beaucoup plus fondamentale la question des possibilités et des faisabilités de la réversibilité des déchets. La promesse de réversibilité, telle qu’elle est désormais prévue par tous les programmes de stockage définitif dans le monde et soutenue par les grandes institutions nucléaires (AIEA, AEN), est-elle réellement réalisable au vu des grandes quantités de déchets toxiques qui sont ou seront enfouis dans des couches géologiques profondes ? Les défis auxquels est confrontée une telle entreprise sont-ils même connus ? Les exemples d’Asse et de Stocamine – mais aussi ceux des mines de stockage définitif de Morsleben, du dépôt de déchets transuraniens militaires «Waste Isolation Pilot Plant WIPP» au Nouveau-Mexique ou des décharges souterraines allemandes pour déchets chimio-toxiques – montrent les multiples difficultés et inconnues qui s’opposent à une telle ambition. Rien que les quantités de déchets à récupérer remettent en question les déclarations d’intention d’une récupération réellement réalisable des dépôts en couches géologiques profondes. Et ce, pour des dépôts en profondeur réels, c’est-à-dire pour des dimensions et des situations réelles. Pour la Suisse, cela signifierait donc pour près de 10’000 m3 de déchets emballés de haute activité et 70’000 m3 de déchets de faible et moyenne activité.[21] Ou pour l’Allemagne, environ 27’000 m3 de déchets de haute activité emballés et 300’000 m3 de déchets de faible et moyenne activité.[22] En France, c’est nettement plus, bien que les déchets y soient classés selon d’autres catégories. On doit vraiment se demander : une fois stockées, de telles quantités de déchets sont-elles vraiment récupérables ?
Comment la réversibilité est-elle définie dans les lois ?
En Suisse, la loi actuelle sur l’énergie nucléaire de 2003 (art. 37) stipule que la réversibilité doit être garantie sans grands efforts jusqu’à la fermeture éventuelle du dépôt en profondeur (voir encadré 1). En RFA, le paragraphe 1.4 de la loi sur le choix des sites stipule que les possibilités de récupération doivent être prévues jusqu’à 500 ans après le stockage des déchets de haute activité. Pour les déchets chimio-toxiques il n’y a pas d’obligation de réversibilité. En France, le concept de « réversibilité » a déjà été fixé dans la « loi Bataille » de 1991, mais de manière très générale.[23] En 2006, il a été inscrit dans le cadre de la loi de programme de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.[24] La seule comparaison de ces pays, avec leurs exigences différentes, montre à quel point la marge de manœuvre est grande dans l’interprétation et la précision du contenu de la notion. Non seulement en ce qui concerne le moment de la récupération, mais aussi les conditions qui sont présupposées pour celle-ci.
Encadré 1 : Inspection fédérale de sécurité nucléaire, Directive IFSN-G03, Dépôts en couches géologiques profondes, édition 2020 Une traduction par les autorités elles-mêmes n’est pas disponible, elle a été assurée par les auteurs du blog. Dans la directive G03, on trouve les définitions et dispositions suivantes concernant la récupérabilité Définition de la « récupération »« La récupération comprend le déstockage et le transport de déchets radioactifs stockés dans un dépôt en couches géologiques profondes pour les ramener à la surface ». « 7.4 Récupération sans grands frais »« 7.4.1 Directives généralesa. Un dépôt en couches géologiques profondes, y compris les conteneurs de stockage en profondeur, doit être conçu de manière à ce qu’une récupération des déchets radioactifs jusqu’à leur fermeture soit possible sans grands frais.b. Une reprise ou une reprise partielle des déchets doit être effectuée si, pendant la phase d’exploitation, la preuve de la sûreté ne peut plus être apportée … » « 7.4.2 Concept de récupération éventuelle des déchets radioactifsa. La demande d’autorisation générale doit être accompagnée d’un concept de récupération éventuelle des déchets radioactifs. Le concept doit au moins présenter les étapes de planification, de logistique, de construction et de surveillance nécessaires pour garantir une éventuelle reprise jusqu’à la fermeture définitive du dépôt.b. La demande de permis de construire doit concrétiser le concept de récupération éventuelle des déchets radioactifs et un projet de démonstration de la technique de récupération dans les zones de test doit être établi.c. Avec la demande d’autorisation d’exploitation, le concept de récupération éventuelle des déchets radioactifs doit être actualisé sur la base des résultats obtenus dans les zones de test.d. Le concept de récupération éventuelle des déchets radioactifs doit être actualisé périodiquement pendant la phase d’exploitation et remis à l’IFSN.e. En cas de modification fondamentale du concept, des expériences de démonstration doivent à nouveau être réalisées dans les zones d’essai. Le concept actualisé doit être soumis à l’IFSN pour approbation. « 11 Assurance qualité et documentation »« g. En précision à l’art. 71 OFEN, la documentation doit contenir au moins les indications suivantes :3. …. des indications sur le stockage intermédiaire, pour autant qu’elles puissent être pertinentes pour une éventuelle reprise des déchets radioactifs ou pour la sécurité à long terme ». |
Il est important de noter que la réversibilité est également toujours mentionnée en relation avec la promotion de l’acceptation du processus de stockage: «Selon cette stratégie temporelle, la réversibilité permettrait de renforcer l’acceptabilité sociale et politique du stockage de manière itérative, comme l’a montré Y. Barthes dans ses travaux : cette notion est présentée comme une garantie, dans un processus de prise de ‘decision par étapes’ et ‘non-tranchée’ (Barthes, 2006 ; 2009)».[25]
La réversibilité prévue par la loi est-elle réellement applicable ?
Considérons donc maintenant la réversibilité, c’est-à-dire la récupération d’un site de stockage définitif, sous cinq conditions centrales :
- Les dispositions légales : Nous avons présenté dans la section précédente trois exemples de définition ou de précision par la loi de dispositions légales relatives à la récupérabilité. Examinons maintenant de plus près les dispositions suisses (encadré 1). Dans la directive G03, l’Inspection fédérale de sécurité nucléaire définissait la « récupérabilité » de manière à ce qu’elle ne couvre que le retrait des déchets du dépôt en profondeur jusqu’à la surface. Ce qui se passe ensuite n’est pas éclairé. Il s’agit d’un cas de lacune légale pertinente. Elle s’explique probablement par le fait que ni le législateur, ni les responsables de la gestion des déchets, ni les autorités ne croient sérieusement qu’un projet de dépôt en profondeur puisse échouer. D’un point de vue historique, une telle position n’est plus défendable, comme le prouvent les innombrables exemples de tentatives de gestion des déchets qui ont échoué.[26] Les prescriptions légales en Suisse sont donc clairement insuffisantes. Le délai de 500 ans défini dans la procédure allemande de sélection des sites est plus aventureux car difficilement justifiable. L’absence de règles contraignantes en matière de récupération des déchets chimio-toxiques est tout simplement inacceptable.
- Raisons de la récupération : Trois raisons principales peuvent justifier une récupération :
Premièrement, une évolution inattendue dans le stockage final, qu’elle soit due à des erreurs de planification, à des effets inattendus sur l’environnement ou à une modification des normes de sécurité. Cela suppose que des programmes de surveillance à long terme accompagnent le processus de stockage dans le dépôt en profondeur.
Deuxièmement, la réévaluation des déchets en tant que matériaux recyclables pourraient conduire au déstockage, notamment le combustible nucléaire et d’autres substances précieuses contenues dans les déchets ou des matériaux d’emballage valorisables (par exemple le cuivre dans les concepts des pays nordiques), qui pourraient être décidés par les sociétés futures en cas de changement de politique.
Troisièmement, l’inventaire des matériaux nucléaires (radioactifs) stockés joue également un rôle (safeguards), matières qui pourraient être à déstockées et réutilisées en cas de guerre ou pour la fabrication de bombes (par ex. dirty bombs). L’objectif et l’ampleur de la récupération peuvent être très différents, tant en ce qui concerne l’objectif que l’exécution.
- Techniques de récupération : Les techniques de récupération sont probablement les plus simples à mettre en œuvre. L’expérience acquise dans l’exploitation minière, respectivement les techniques appliquées lors de l’assainissement de décharges spéciales ou du démantèlement de centrales nucléaires, garantissent déjà un niveau de qualité élevé en matière de planification et de technique. Même en cas d’accident. L’étude de récupération de la Nagra, réalisée en 2022, montre comment les techniques actuellement disponibles permettraient en principe de récupérer l’inventaire des déchets avant la fermeture du dépôt en profondeur.[27] La tâche est d’autant plus difficile que le temps s’écoule entre la date de stockage et la date de récupération et que l’inventaire des déchets a changé entre-temps. Mais même ces difficultés devraient en principe pouvoir être surmontées, à condition que les normes de qualité correspondantes soient respectées lors du démantèlement du site et que le niveau technique disponible aujourd’hui soit maintenu. Si l’évolution technique des machines – en particulier la robotisation – se poursuit au même rythme, le démantèlement lui-même devrait rester faisable. Dans le cas contraire, l’interruption du processus de récupération pourrait entraîner un affaiblissement de la sécurité d’un dépôt en profondeur. Il est important de développer ces scénarios de manière générique.
- Contexte général : si l’on suppose, dans le meilleur des cas, que la récupération des déchets se déroulera plus ou moins sans problème, des questions se posent quant à la manière de gérer l’inventaire des déchets récupérés et les grandes quantités de roches ou de bentonite des galeries de stockage produites lors de la récupération d’un dépôt pour déchets nucléaires: Le stockage temporaire, le traitement, la séparation, le reconditionnement, le reconditionnement des déchets et des matériaux dont l’inventaire a été modifié, etc. dans des conditions de sécurité appropriées, en termes de protection du travail et de radioprotection, ainsi que la recherche d’une stratégie de stockage de remplacement adéquate. A cela s’ajoute la fermeture adéquate du dépôt en profondeur, en tenant compte des dommages causés à la construction et à l’infrastructure. De véritables défis, surtout si une partie des déchets devait encore rester dans le sous-sol, comme ce serait le cas d’un dépôt géologique profond mixte (toutes les catégories de déchets).
Même si les possibilités techniques restent inchangées ou continuent d’évoluer, de tels programmes de remplacement sont extrêmement exigeants, même s’ils sont jugés techniquement réalisables en principe. Outre la fermeture de l’installation actuelle, les plus grands défis se posent lors de la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de stockage de remplacement. Veut-on suivre un nouveau concept de dépôt en profondeur similaire ou existe-t-il des alternatives ? Comment faut-il gérer le dépôt en profondeur en cas de récupération de matériaux valorisables ? Qu’est-ce que cela signifie pour la fermeture ? Une stratégie de remplacement peut-elle être mise en œuvre sur le même site ? Existe-t-il d’ores et déjà des stratégies de remplacement, comme la transmutation [28]? Etc. Dans de tels cas, de véritables défis devraient attendre les futurs planificateurs et entreprises. Dans notre blog de 2023 sur la «récupérabilité des déchets nucléaires : état des lieux en 2023», nous avons déjà évoqué les multiples problèmes et difficultés d’un assainissement intégral et d’une nouvelle gestion de tels projets de récupération.[29] Les défis à relever pour mener à bien ces étapes sont énormes. Il s’agit en fait d’un retour au champ 1, dans des conditions d’acceptation massivement plus difficiles. Un autre projet de dépôt en profondeur sur le même site ne devrait plus être réalisable.
- Coûts : Il est difficile d’imaginer ce que cela implique en termes de coûts. Cela conduit facilement à une multiplication massive des coûts, comme le montre également l’assainissement de grands sites contaminés. Cela soulève en outre des questions fondamentales sur la manière de trouver ces fonds et sur la personne juridique qui devra finalement assumer les coûts. Il montre quelles sont les incroyables contraintes qui découlent d’une mise en œuvre sérieuse du principe de réversibilité dans un contexte global, et met en évidence les conséquences financières qui sont à considérer. L’expérience des projets d’assainissement et de remise en lieu sûr confirme que la réversibilité entraîne des conséquences financières massives (un facteur de 100 et plus est courant en fonction de l’objet et corrigé de l’inflation, voir comme cas extrême les coûts d’assainissement prévus à Hanford, Washington[30]). La question des coûts devrait donc être le nerf de la guerre pour la récupérabilité. En d’autres termes, que se passerait-il s’il s’avérait dès aujourd’hui que la récupérabilité n’est pas abordable ?
Et maintenant ? Quelques réflexions finales
Quoi qu’il en soit, si l’on revient au point de départ de cet article, les dépôts de déchets en mines – et particulièrement ceux en mines en mauvais état – conduisent à la question essentielle de savoir si la réversibilité tant vantée n’est finalement rien d’autre qu’un tigre de papier dont le seul objectif est de garantir l’acceptation nécessaire du stockage des déchets dans une mine de stockage en profondeur, mais qui ne comporte aucune garantie, ou dont la mise en œuvre est soumise à des décisions politiques qui peuvent être modifiées à tout moment. Or, un tel jeu politique avec la réversibilité est un jeu très dangereux, qui peut ruiner complètement la crédibilité et la compétence des agences de gestion des déchets ainsi que des autorités et des décideurs (politiques), comme le prouvent sans équivoque l’exemple de Stocamine[31] et, à d’autres égards, celui de la mine d’Asse.
En conclusion, il y a donc beaucoup à faire en matière de « réversibilité » dans tous les programmes de stockage définitif du monde. Tout d’abord, et c’est le plus important, il faut se demander si les notions de « réversibilité » sur lesquelles se basent les différents programmes de gestion des déchets dans les pays utilisant l’énergie nucléaire sont correctement définies et donc applicables. Il ne sert pas à grand-chose de voter des lois et d’élaborer des directives qui définissent la réversibilité si la conception de base est lacunaire ou irréaliste. De plus, il faudra réfléchir à la possibilité de satisfaire à une telle prescription en fonction des exigences d’une époque lointaine. En ce sens, il est impératif d’éclairer le contexte global d’un tel projet – dans le présent et dans le futur lointain. Rétrospectivement, l’exemple de la mine d’Asse montre à quel point les exigences d’une planification intégrale sont élevées et quelles sont les conséquences de négligences en matière de planification. En ce sens le cas «Stocamine» est encore plus dramatique. Il remet en question la confiance des citoyens dans un Etat incapable de tenir sa promesse de réversibilité. Il est donc impératif de bien définir la notion de « récupérabilité » et de la clarifier avec les communautés concernées. Un nouveau cas « Stocamine » ne serait tout simplement plus acceptable.
[1] Spiegel, 2024. Asse in Niedersachsen: Wie Wasser alle Hoffnungen im Atommülllager zerstört. 17.05.2024. https://www.spiegel.de/politik/deutschland/asse-in-niedersachsen-wie-wasser-alle-hoffnungen-im-atommuelllager-zerstoert-a-df9abd9f-a460-432d-a863-4598db9fc213 (19.05.2024)
[2] T-online, 2024. Angekündigte Katastrophe. Endlager Asse ist undicht – Atommüll wohl nicht mehr zu bergen. 17. Mai 2024. https://www.t-online.de/klima/politik-wirtschaft/id_100408392/niedersachsen-atommuell-endlager-asse-ist-undicht-bergung-kaum-moeglich-.html# (19.05.2024)
[3] NDR, 2024. Atommülllager Asse: mehr Wasser – und es nimmt neue Wege. 18. Mai 2024. https://www.ndr.de/nachrichten/niedersachsen/braunschweig_harz_goettingen/Atommuelllager-Asse-Mehr-Wasser-und-es-nimmt-neue-Wege,asse1650.html; Zeit, 2024. Atommülllager Asse: In der Tiefe deutet sich eine Atomkatastrophe an. Zeit online. https://www.zeit.de/politik/deutschland/2024-05/atommuelllager-asse-wasser-niedersachsen-faq (19.05.2024); Braunschweiger Zeitung, 2024. Wassereintritt: Situation im Atommüllager Asse wird brenzliger. 17. Mai 2024. https://www.braunschweiger-zeitung.de/niedersachsen/wolfenbuettel/article406372426/wassereintritt-situation-im-atommuelllager-asse-wird-brenzliger.html(19.05.2024); taz, 2024. Salzwasser im radioaktiven Desaster. 21. Mai 2024. https://taz.de/Atommuelllager-Asse/!6011977/ (26.05.24)
[4] Blümmel, Reiner, 2005, HMV-Schlacken als untertägiges Versatzmaterial, VGB-Workshop «Produkte aus der thermischen Abfallverwertung», Freiburg, 20. Oktober 2005, S. 10. https://www.yumpu.com/de/document/read/6580335/vortrag-im-oktober-041005-uev-umwelt-entsorgung-und- (19.05.24)
[5] Buser, M., Roth, H., 1998. Bergeversatz von Sonderabfällen in deutschen Salzbergwerken: Evaluation der heutigen Beseitigungs- und Versatzpraxis in Zusammenhang mit den Exportanträgen für Abfälle aus der Schweiz, zuhanden Bundesamt für Umwelt, Wald und Landschaft BUWAL. Entwurf August 1998. nicht publiziert. S. 109-112.
[6] Berest P., Brouard B., Feuga B., 2004. Abandon des mines de sel: faut-il ennoyer? Revue Française de Géotechnique. No. 106-107, 1er et 2ème trimestres 2004. p. 54.
[7] Kappel, W., Yager, M., Miller, T., 1994, The Retsof Salt Mine Collapse, Widespread subsidence occured after a mine collapse in the Genesee Valley, New York, U.S. Geological Survey; Yager, Richard. M., 2013, Environmental consequences of the Retsof Salt Mine Roof Collapse, U.S. Department of Interior, U.S. Geological Service, USGS Open-File Report 2013-1174.
[8] Industrial Minerals Summary Data, https://www1.gnb.ca/0078/GeoscienceDatabase/IndustrialMinerals/qryIndMinSummary-e.asp?Num=1116 (20.05.24), auch K+S (Herfa-Neurode und andere Gruben) und EMC (Stocamine) hatten via Potash Company of Canada [Potacan] Beteiligungen an diesem Bergwerk.
[9] Stoeckl, L., Banks, V., Shekhunova, S., Yakovlev, Y., 2020, The hydrogeological situation after salt-mine collapses at Solotvyno, Ukraine, Journal of hydrology, Regional Studies, Volume 30, August 2020. L’article fait également état d’un incident similaire dans les mines de Berezniki en Russie en 2006.
[10] damals alleiniger Betreiber der Untertagedeponie Herfa-Neurode
[11] 2012 liquidiert
[12] Webb, T.C., 2009. New Brunswick Potash: A Review of Developments and Potential Exploration Alternatives. Information Circular IC 2008-4, S. 13. https://www2.gnb.ca/content/dam/gnb/Departments/en/pdf/Minerals-Minerales/IC_2008-4_Report.pdf (21.05.2024); Industrial Minerals Summary Data, siehe oben: « The Clover Hill mine operated for 12 years before a serious inflow of water occurred in the underground workings. Following several unsuccessful attempts to reduce the inflow to manageable levels it was announced that mining operations would be permanently suspended and the mine closed in 1997.»
[13] Warren, J. K., 2017, Salt usually seals, but sometimes leaks: Implications for mine and cavern stabilities in the short and long-term, Earth Science Review 165, p. 302-341.
[14] BGE, 2009. Die Asse und das Grundwasser. Bundesgesellschaft für Endlagerung. 22.10.2009. https://archiv.bge.de/archiv/www.asse.bund.de/Asse/DE/mediathek/video/grundwasser/text-die-asse-und-das-grundwasser.htm(19.05.2024):
[15] Comité de pilotage, 2011. Rapport d’expertise. DREAL Grand-Est.
[16] https://www.youtube.com/watch?v=p_iZr2-Coqc (21.05.2024)
[17] DMT, 2017. Rückholung der radioaktiven Abfälle aus der Schachtanlage Asse II: Konzeptplanung für die Rückholung der radioaktiven Abfälle von der 511-m-Sohle, zuhanden Bundesgesellschaft für Endlagerung BGE. 29.11.2017.
[18] Buser, M., 2017. Short-Term und Long-term Governance als Spannungsfeld bei der Entsorgung chemo-toxischer Abfälle. ITAS-ENTRIA-Arbeitsbericht 2017-02; Assemblée Nationale, 2018. Rapport d’information déposé par la mission d’information commune sur le site de stockage souterrain de déchets Stocamine. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micstoc/l15b1239_rapport-information
[19] MDPA, 2018. Rapport de fin de chantier : Déstockage de déchets mercuriels du site StocaMine. Mines de Potasse d’Alsace. 04 juin 2018 ; anteagroup/Tractebel, 2020. Étude technique et financière de la faisabilité de la poursuite d’un déstockage partiel, en parallèle de la poursuite du confinement. Volet 3: Étude des techniques à mettre en oeuvre et de leur sécurisation – prise en compte des contraintes de la mine. Mines de Potasse d’Alsace MDPA, Projet n°ALSP190266 – 30 septembre 2020 ; Buser, M., 2023. Réversibilité du stockage des déchets toxiques de la mine de Stocamine, établi pour Alsace Nature. 19. Septembre 2023.
[20] Augustinus, 2013. De mendacio – Die Lüge / Ad consentium contra mendacium – Gegen die Lüge, Die Lügenschriften, Augustinus Opera/Werke, Band 50, Ferdinand Schöningh Paderborn München Wien Zürich
[21] Nagra, o.J. Menge radioaktiver Abfälle. Nationale Genossenschaft für die Lagerung radioaktiver Abfälle. https://nagra.ch/wissensforum/menge-radioaktiver-abfaelle/ (31.05.2024)
[22] BGE, o.J. Radioaktive Abfälle. Aktueller Bestand. Bundesgesellschaft für Endlagerung. https://www.bge.de/de/abfaelle/aktueller-bestand/ (31.05.2024)
[23] «…l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains.»
[24] Radisson, Laurent, 2016. Stockage géologique de déchets radioactifs : l’Andra dévoile sa vision de la réversibilité. ACTU environnement. 3 février 2016.
[25] Z.B. Blanck, Julie, 2021. Gouverner par le temps: la gestion des déchets radioactifs en France, entre changements organisationnels et construction de solutions techniques irréversibles (1950-2014). Sociologie. Institut d’études politiques de Paris – Sciences-Po, 2017 Français. NNT: 2017IEPP0024. Thèse. Submitted 21 november 2021. https://theses.hal.science/tel-03436542v2:
[26] Z.B. Buser, M., Wildi, W., 2018. Du stockage des déchets toxiques dans des dépôts géologiques profonds. Sciences et pseudo-sciences, n° 324, avril/juin 2018; Buser, M., Forter, M., Wildi, W., 2019. Entsorgung von Sondermüll in der Schweiz, von der Verdünnung im Rhein zum Sarkophag von Teuftal. Swiss. Bull. angew. Geol. Vol 24/2, 2019; Buser, M., 2021. Nuclear Waste Disposal: An Exploratory Overview. atw. Voll 66(2021), Issue 4. July 2021; NEA, 2014. Preservation of Record, Knowledge and Memory. Key Factors in the History of Conventional Waste Disposal. Final Report. Nuclear Energy Agency. March 2014
[27] Nagra, 2022. Rückholungskonzept für ein geologisches Tiefenlager. Nagra Interner Bericht NIB 22-13.
[28] Duale Strategie, cf. https://www.nuclearwaste.info/von-der-geologischen-tiefenlagerung-zur-dualen-strategie-2/ et https://www.nuclearwaste.info/die-duale-strategie-teil-2-2/
[29] https://www.nuclearwaste.info/rueckholbarkeit-nuklearer-abfaelle-eine-standortbestimmung-2023/
[30] DOE, 2022. Hanford Lifecycle Scope, Schedule and Cost Report. Department of Energy. DOE/RL-2021-47.
[31] Flory, Yann. 2024. Stocamine – un avenir empoisonné. Éditions Alterpresse68.
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