Préambule
Lors de la présentation de la proposition du site de Habertal (Stadel,ZH) en vue de la demande d’autorisation générale pour le dépôt en couches géologiques profondes de la Suisse, Matthias Braun (CEO de la Nagra) a mis en avant les avantages suivants pour le site de « Lägern Nord », qui lui ont valu les honneurs de la sélection face à « Jura Est » et « Zurich Nord-Est » (voir aussi Nagra 2022[1] ):
« C’est au nord de la montagne de la Lägern que la stabilité à long terme de la barrière géologique est la plus grande. La protection de la barrière contre l’érosion future est la meilleure dans cette région en raison de la plus grande profondeur et de la présence de roches résistantes à l’érosion au-dessus de la roche d’accueil. »
« C’est dans le nord de la Lägern que la zone appropriée et donc la flexibilité de l’implantation du dépôt sont les plus grandes. »
« C’est dans la région au nord de la Lägern que l’on trouve la plus grande zone d’un seul tenant sans indice de perturbation. C’est donc dans cette zone que la flexibilité pour l’implantation de l’entrepôt est la plus grande ».
Toutefois, si l’on y regarde de plus près, cette argumentation se révèle fragile.
Sismique 3D
Entre l’automne 2015 et le printemps 2017, la Nagra a mené une campagne de sismique 3D sur le site d’implantation au nord de la Lägern. Les résultats de ces relevés permettent notamment de représenter en trois dimensions la géologie et la déformation tectonique des formations rocheuses. Les particularités des roches sont également identifiables. Le rapport détaillé (Nagra 2019 [2]) décrit, illustre et interprète en détail ces résultats.
La figure 1 (figure 6-13 dans NAB 18-35) montre une « Interprétation préliminaire d’un horizon de pendage volumétrique, top Argiles à Opalinus », ce qui correspond pratiquement à une carte morphologique de la surface de cette formation. On y voit (lignes rouges) des failles tectoniques (structures de fracture) et (lignes bleues) d’autres linéaments tectoniques (p. ex. des plis). Au sud (bas de la carte), on aperçoit les nombreuses failles de la zone d’accidents tectoniques de Baden – Irchel – Herdern (zone représentée en bleu, fig. 2) .
Vient ensuite (au centre de la carte) une zone calme, uniquement perturbée par des plis (D1 – D2) et par l’accident tectonique du Strassberg (Sb). Dans la partie nord de la zone cartographiée (zone d’accidents tectoniques représentée en rouge, fig. 2, partie supérieure de la carte), les Argiles à Opalinus sont à nouveau découpées par de nombreuses failles et déformées par des plis à petite échelle. Les structures tectoniques les plus importantes sont la structure anticlinale de Siglistorf (SIA) avec ses failles et l’accident Weiach – Glattfelden – Eglisau (WGE). En raison de la forte structuration de cette région septentrionale, qui apparaît comme un « paysage de collines » sur la figure 1, on peut supposer que les Argiles à Opalinus ont été fortement fracturées entre les failles principales. Cependant, pour faire apparaître le détail de ces structures tectoniques, il faudrait une échelle cartographique plus détaillée et probablement une sismique à plus haute résolution.
Figure 1 : « Interprétation préliminaire d’un horizon de pendage volumétrique, top Argiles à Opalinus », ce qui correspond pratiquement à une carte morphologique de la surface de cette formation (Lägern Nord, fig. 6-13 de NAB 18-035). Lignes rouges : failles tectoniques, lignes bleues: linéaments, notamment des plissements. BIH : accident de Baden – Irchel – Herdern ; Eg : faille d’Eglisau ; Sb : faille du Strassberg ; SIA : anticlinal de Siglistorfer ; WGE : accident de Weiach – Glattfelden – ‘Eglisau. B – B’ : profil sismique fig. 3.
Figure 2 : extension des zones de déformation et du Seuil de Bülach D3 de la figure 1 (commentaire : voir texte).
Le déplacement vertical des couches le long de l’accident de Weiach – Glattfelden – Eglisau peut localement dépasser 30 m (profil A dans fig. 6-11, NAB 18-035[3]). Les dislocations de moins de 10 m ne sont souvent pas détectables en raison de la résolution limitée de la sismique (fig. 3), mais même dans les structures interprétées comme des plis, l’expérience montre que ldans le Jura, les couches ne sont pas plissées, mais cassées. Ainsi, même dans les Argiles à Opalinus, la perméabilité augmente.
Au niveau du linéament D3, les roches sédimentaires changent d’ouest en est, passant de l’épaisseur normale des couches marneuses du Dogger inférieur à la zone dite de » seuil » (fig. 2, «Seuil de Bülach»), dans laquelle des calcaires coralliens ont été percés par le forage profond de Bülach 1-1 .
Dans la partie centrale de la zone cartographiée (fig. 2, surfaces blanches), les formations géologiques ne sont guère perturbées par la tectonique et ne présentent que l’inclinaison habituelle de quelques degrés vers le sud.
Figure 3 : profil sismique 2D traversant la fracture de Weiach – Glattfelden – Eglisau (WGE) en coupe transversale près du site de Haberstal (NAB 18-35, Nagra 2019, fig. 6-11). TLi : réflecteur Top Lias, Top : réflecteur Top Argiles à Opalinus). Les réflecteurs dans les Aargiles à Opalinus présentent des variations sur toute la longueur du profil. Le puits principal du site de stockage se situerait à peu près à la hauteur du point 1520.
Le site proposé du Haberstal
L’installation de gestion de déchets prévue par la Nagra se compose d’installations de surface, du puits principal, de puits d’aération et des deux dépôts géologiques en profondeur pour DHA et DFMA (fig. 4). Il n’est pas prévu d’accès inclinés de la surface jusqu’aux galeries de stockage des déchets.
Comme le montrent les figs. 1 et 2, le site de Haberstal (Stadel) se trouve dans la partie la plus au sud de la zone de déformation de la zone tectonisée de Weiach – Glattfelden – Eglisau (WGE). Juste à l’est se trouve la transition vers la zone de seuil D3 (Seuil de Weiach). A cet endroit, les Argiles à Opalinus sont tectoniquement déformées, soit par des failles partant de la zone de fracturée WGE, soit par des plissements à l’avant de celle-ci.
Le plan sectoriel énumère différents critères (à commencer par le critère 1.1 relatif à l’extension spatiale de la roche d’accueil) qui doivent être pris en compte lors du choix du site. Ces critères excluent les conditions géologiques perturbées susceptibles d’altérer les propriétés géotechniques et d’augmenter la mobilité de l’eau. L’aménagement et l’exploitation d’un dépôt en couches géologiques profondes ne sont donc guère envisageables dans cette zone (https://nagra.ch/wp-content/uploads/2022/09/Tiefenlager-beschriftet_Quelle-Nagra.pdf ). Un puits vertical pourrait bien être creusé, mais il traverserait probablement des roches fragilisées en profondeur. Les galeries de transport, d’exploitation et de stockage reliées au puits principal devraient également traverser des failles tectoniques dans la zone d’influence de la faille WGE.
Compte tenu de l’état de nos connaissances et des formations rocheuses perturbées prévisibles en profondeur, l’aptitude du site de Haberstal à accueillir un dépôt en couches géologiques profondes, tant pour les DHA que pour les DFMA, semble pour le moins douteuse.
Figure 4: installations de gestion des déchets, projet Haberstal de la Nagra (https://nagra.ch/wp-content/uploads/2022/09/Tiefenlager-beschriftet_Quelle-Nagra.pdf) . Les installations de surface sont directement reliées au dépôt en profondeur en deux parties par des puits d’environ 800 m de profondeur. Le projet présenté lors de la présentation du site de Haberstal ne prévoit ni accès horizontal, ni accès incliné depuis la surface.
Le site de Haberstal dans le cadre du plan sectoriel
La procédure du plan sectoriel pour le stockage géologique des déchets radioactifs[4] lancée en 2009, avait été conçue comme une procédure de recherche de sites de dépôts en couches géologiques profondes pour les deux catégories de déchets, à savoir les déchets hautement actifs (DHA) et les déchets faiblement et moyennement actifs (DFMA).
Par le biais de cette procédure, la Nagra serait parvenue, selon ses propres dires, à la conclusion que Lägern Nord était la meilleure région à proposer pour l’élaboration de la demande d’autorisation générale. Mais la situation n’est manifestement pas aussi simple :
- Au cours de la procédure, des questions importantes ont été laissées de côté ou traitées de manière purement formelle et insuffisante. Il s’agit notamment de la question des conflits d’utilisation (géothermie et eaux thermales, hydrocarbures dans le bassin permo-carbonifère ; critère 2.4. selon le plan sectoriel).
- Désormais, des questions et des doutes apparaissent également concernant la sollicitation tectonique et donc la sécurité à long terme du site.
L’argumentation scientifique qui a conduit la Nagra à choisir ce site n’est pas encore disponible. Les différents rapports de référence doivent être achevés et publiés. C’est pourquoi la qualité de cette proposition de site ne peut pas encore être évaluée de manière définitive.
La documentation disponible ou accessible au public donne cependant des raisons de douter que le site proposé puisse vraiment répondre aux attentes placées en lui. Nous nous prononcerons sur ce point et sur les nombreuses questions institutionnelles liées à cette situation de façon plus précise dans une publication ultérieure.
[1] Nagra 2022: Der Standort für das Tiefenlager. Der Vorschlag der Nagra. Wettingen, 68 S.
[2] Nagra 2019: Preliminary horizon and structure mapping of the Nagra 3D seismics NL-16 (Nördlich Lägern) in time domain. Arbeitsbericht NAB 18-35, Nagra Wettingen, 77 S.
[3] Nagra 2021: Arbeitsbericht TBO Bülach-1-1: Data Report Summary Plot, Arbeitsbericht NAB 20-008, Nagra Wettingen, 19 S.
[4] OFEN 2008 : Plan sectoriel «Dépôts en couches géologiques profondes», révision 2011. Berne
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